"L'art contemporain est mort, vive les arts contemporains !"

L'art populaire est un terme qui interpelle. Je me souviens d'avoir été obligé de le retirer du titre d'une exposition dédiée à l'art indien que j'organisais au Musée des Arts Décoratifs de Paris en 1998 tant celui ci semblait peu valorisant. Les temps changent. Les formes d'art dites en marge trouvent leur place sur l'échiquier de l'art contemporain. L'art populaire, l'art brut, l'art singulier, l'outsider art, sont de plus en plus présents dans les grandes manifestations internationales de la Biennale de Venise à la Biennale de Moscou en passant par celle de Gwangju.

La Fondation Cartier, en ce domaine, joue un rôle particulièrement actif. L'exposition Un art populaire, organisée en 2001, présente des artistes issus de la culture globale, ce sont les héritiers des avant-gardes historiques, et des artistes issus de culture locale, du Brésil à la Chine en passant par l'Afrique. Cette confrontation des cultures s'inscrit dans le prolongement des Magiciens de la terre et du concept de l'Art Modeste cher à Hervé Di Rosa. Les frontières entre les genres s'estompent de plus en plus. C'est là l'un des enjeux de la Fondation Cartier qui convie en son nom, Fondation Cartier pour l'art contemporain, les modes d'expression les plus divers. Un inventaire à la Prévert : art contemporain, art populaire, musique, photographie, cinéma, bande dessinée, mathématiques !

L'accès à la diversité a eu ses prémices. Dans les années 1940, Malraux soulignait le rôle de la vulgarisation de la photographie donnant accès aux plus belles œuvres sans avoir à aller aux quatre coins du monde. Une merveilleuse photo le montre élaborant son Musée Imaginaire debout parmi des dizaines de photographies de chefs-d'œuvre étalées au sol. Les prises de vue de l'appartement de Breton dans les années 1960 nous font découvrir son Cabinet de curiosités où se côtoient, cette fois-ci physiquement, des œuvres provenant des six continents.

Plus que jamais dans l'histoire de l'humanité, la diversité est accessible. Aujourd'hui, nous sommes tous à même de constituer notre propre musée imaginaire, notre cabinet de curiosités idéal.

Histoires de voir est le titre de la seconde exposition de la Fondation Cartier dédiée aux arts en marge en 2012. Qui sont ces auteurs d'art populaire exposés à la Fondation Cartier ? Ce sont parfois des individus qui s'emparent de partition commune, savoir-faire local, pratique rituelle, et se les approprient pour ajouter leur vision, une part d'eux-mêmes, leur sensibilité, leur créativité. On pense à Virgil Ortiz, Jivya Soma Mashe, Isabel Mendès da Cunha ou encore à Cheik Ledy. Certains se revendiquent artistes, leur singularité est d'être autodidacte. Souvent il s'agit de vocation tardive, lorsque le temps le permet, lorsque le regard des autres n'a plus d'importance. On pense à Francisco da Silva, Nino ou encore à Mamadou Cissé. Parfois, ces œuvres sont le fruit d'interventions extérieures où d'autres individus (ethnologues, poètes, amateurs éclairés) introduisent des supports alors inexistants, comme le papier et la toile, dans des communautés isolées pour conserver et faire connaître des cultures singulières, des modes d'expression ancestrale menacés de disparition. On pense à Jangarh Singh Shyam, à Djilatendo et bien sûr à Taniki, jeune chaman Yanomami.

Un art populaire et Histoires de voir. Un art populaire, au singulier, pour se distinguer des arts populaires. Histoires de voir, au pluriel, pour célébrer la pluralité. Singulier et pluriel : l'expression de notre contemporanéité. "L'art contemporain est mort, vive les arts contemporains !"

L'art contemporain est un concept singulier qui désigne l'art de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la fin des années 1970, les arts contemporains est un concept pluriel qui désigne l'art de la fin des années 1970 à nos jours.

Hervé Perdriolle, critique d'art, galeriste, commissaire d'expositions

Le magazine Cartier 30 ans pour l'art contemporain est téléchargeable gratuitement
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